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A la recherche des civilisations aztèques. Août 1989

samedi 6 mars 2010, par bc

Lorsque remué par les multiples appels vibrants on décide de faire plus que le chèque de la bonne conscience devant la photo d’un enfant désespéré, on découvre les coulisses de l’immense spectacle psycho-socio-politico-patho humanitaire.

On pourrait penser lorsque l’on a une compétence qui permettrait d’aider concrètement des populations défavorisées, qu’il suffit d’offrir ses services bénévoles à une association ’tiers-mondiste’ pour partir en mission sur le terrain. Une chance se présente de prendre une année sabbatique pour réaliser ce rêve moderne d’agir pour la solidarité humaine.Mais déjà les premiers coups de téléphone donnent le ton lorsque les standardistes, après l’amabilité du numéro de compte bancaire se renfrognent dès que l’on offre ses services. Les réponses évasives sur l’activité de l’association, l’absence d’interlocuteur et le mutisme sur les autres associations où l’on peut s’adresser, soit par ignorance, soit par la concurrence mesquine entre organisations caritatives que l’on découvre peu à peu, tout cela, ajouté à la suspicion prétentieuse de certains représentants des ordres de la croix populaire sans frontière, atténue l’élan naturel de la bonne volonté spontanée.

La brochure encyclopédique du ministère de la coopération permet lorsque l’on ne s’y noie pas de différencier les organismes gouvernementaux des organisations non gouvernementales et procure des adresses qui ne débouchent souvent sur aucune autre de demande que de l’argent.

Trois mois sont déjà passés.

La boîte à lettres se remplit chaque jour un peu plus des prospectus de vente par correspondance de la charité.On ne peut s’empêcher de penser qu’outre la participation à la destruction des forêts transformées en papier, ces dépenses ajoutées au coût des publicités télévisées et au téléphone dépensé par les candidats au bénévolat, font que l’humanitaire est une affaire qui ’tourne’ bien pour les prestateurs de services mais qu’il doit rester peu de moyens pour les populations visées.Les organisations internationales de Nations Unies ou de la Croix Rouge sont laissées de côté après une promenade de quelques dizaines de minutes dans leur standard lointain après lesquelles on tombe, si on a de la chance, sur un fonctionnaire coûteux qui n’accepte que les candidatures écrites. Lorsqu’une réponse est faite à la lettre, elle est négative, puisqu’il semble que ces dinosaures ne sachent pas utiliser le bénévolat.Après cette charité grassement payée, on découvre le semi professionnalisme des associations qui offrent un SMIC aux ’bénévoles’. On y rencontre, lors des réunions d’information et de recrutement certains médecins spécialistes adulés qui, se sentant indispensables, font les intéressants en expliquant qu’ils ne peuvent pas partir à moins de vingt mille Francs par mois car ’vous comprenez, j’ai de grosses charges financières sur le dos’ !On pleurerait, si l’on ne découvrait à chaque bulletin d’information des gens plus malheureux qu’eux.Mais ceci n’est il pas une évolution normale du semi-bénévolat où les niveaux sociaux sont reproduits au rabais ?Ces associations largement médiatisées ne se privent d’ailleurs pas d’utiliser l’argent du public pour s’offrir de superbes locaux où leurs permanents peuvent jouir du confort de l’humanitaire.

C’est dans ces mêmes locaux que la bonne volonté débarque. Elle doit faire un trajet spécial dans la capitale lorsqu’elle vient de ’province’, les antennes n’ayant aucun pouvoir décisionnaire. Et l’on se retrouve, après avoir payé sa cotisation, devant une personne souvent ignorante de la compétence proposée, trônant derrière un bureau semi-ministre dont un des pieds seul correspond à plusieurs dons des smicards qui se privent pour aider leurs Frères du tiers monde... L’entretien se termine par un ’votre fiche est enregistrée sur l’ordinateur, elle sortira peut-être un jour, mais vous savez, vous êtes très nombreux à vouloir partir...’ Et lorsque l’on rétorque que ce ne sont pas les besoins qui manquent dans le monde, on s’entend dire, ’mais nous ne voulons pas trop grossir’. On s’apprête à lui conseiller un régime amaigrissant quand on comprend qu’elle parle de cette association qui engrange le maximum de dons privés grâce à des publicités qui montrent un médecin jouer le mal de l’air pour draguer l’hôtesse.

Six mois sont passés, après plusieurs entretiens où l’on ne sait pas s’il faut jouer les désespérés, les aventuriers, montrer la bonne couleur politique ou tenter de charmer son interlocuteur, tant la décision semble subjective. On commence à se dire que l’on aurait mieux fait d’utiliser cette année à autre chose. Les parents et amis commencent à regarder le missionnaire avec compassion, voire ironie et les premières réactions enthousiastes ont fait place aux ’laisse tomber !...’.Le budget est lourdement grevé par les dépenses de téléphone, courriers et voyages. La résistance nerveuse diminue à chaque entretien où l’on entre comme bénévole potentiel avant de se retrouver demandeur d’emploi et de sortir artiste après le ’laissez votre adresse...’.

Et puis un jour après avoir passé l’incrédulité première, une lueur d’espoir s’allume, on est reconvoqué !Après un deuxième entretien positif, ça y est, on part ! Le briefing commence et on en est aux préparatifs.On avance un peu plus dans la société humanitaire pour rencontrer en toute discrétion des gens qui gravitent autour de certaines missions et dont on ne sait s’ils font parti des services secrets ou d’informateurs du camp opposé, tant leur identité et leur activité semblent protégées. Mais après tout, ce n’est peut-être qu’un jeu, à moins que cela ne fasse partie de la méfiance paranoïaque d’une partie des militants. On assiste à l’interrogatoire de personnes arrivant de mission qui parfois se limitent à réciter le dernier article d’un quotidien sur la région d’où ils reviennent, laissant ainsi entrevoir les difficultés d’action sur le terrain.

Des détails cocasses émaillent la fin de la préparation. Se doute-t-on que pour certaines missions, il est indispensable de se munir d’une tenue de soirée pour participer aux fêtes somptueuses des Ambassades de France ? Tout est prêt, on rentre chez soi, le billet d’avion dans la poche et le passeport tamponné, pour préparer la famille. On boucle les bagages et se concentre sur la mission à accomplir. Deux jours avant le départ, patatraque, tout s’effondre, on ne part plus, sans savoir si c’est sa gueule qui n’a pas plu, un problème sur le terrain, un manque de moyens ou une mauvaise organisation de la mission.

Le lendemain, devant sa glace, on cherche en vain dans son regard la lueur d’altruisme qui brillait il y a déjà un an et à laissé place au halètement langue pendante dès l’annonce d’un billet pour n’importe quelle destination. Et l’on se prend à penser que l’on aurait mieux fait de partir avec son sac à dos rencontrer les Indiens d’Amérique, pour soi-même au lieu de chercher à aider les autres.

L’année sabbatique se termine sur un échec et il ne reste plus de cette expérience qu’un passeport interdit dans une grande partie du monde, quelques surnoms dans les bars comme ’Père Thérèsa, El Salvador ou Yasser’, plus quelques messages du type ’Nicaragua wants you’ sur le répondeur téléphonique.

Un dernier tuyau, le dernier coup de téléphone, avec au coeur la furieuse envie de ’leur’ dire merde, et ô surprise, la personne rentre de mission et cherche quelqu’un d’urgence ! Entretien positif, briefing et départ dans quelques jours. Une mission intéressante avec une association de vrai bénévolat, quelle chance ! L’année sabbatique peut se prolonger et après les contretemps dus à la situation sur le terrain, voici le grand frisson du décollage et le flip de l’atterrissage dans l’inconnu.

Mais dès ce passage qui transforme les quelques élus en représentants de l’altruisme moderne, on s’aperçoit que la réalité est bien loin du rêve.Les premières taxes et bakchichs pour le transit, et on est dans l’ambiance.Certes, l’accueil est chaleureux, les motivations des volontaires sur le terrain s’unissent pour former le fleuve parfois tumultueux de la générosité, serpentant entre des montagnes d’incrédulité et d’intérêts, dans les canaux de la diplomatie vigilante.Mais au cours des discussions entre les bleus et les anciens, le mot concurrence entre associations n’a-t-il pas été prononcé, surtout pour les endroits médiatisés où il faut être présent pour être dans le coup ?Que penser de ceux qui affirment que les ’bénévoles’ payés travaillent plus et mieux que les autres ?N’a-t-on pas parlé de missions touristiques déguisées en humanitaire bidon ?Et ce bateau d’aide médicale dont on suppose qu’il a été envoyé pour atténuer les prises de positions hâtives et excessives d’un gouvernement ? Est-ce la première fois qu’une mission humanitaire fait plus de victimes par son influence sur une situation explosive que de résultats coûteux et dérisoires qui ont confirmé la partialité d’une politique ? Pas étonnant qu’après le vaisseau studio pirato espion, le coup de l’avion de la vie n’ait pas marché... Une organisation a-t-elle le droit de jouer sur les deux tableaux public et politique pour entraîner dans son sillage les associations pures ? La perversion capitaliste des grands organismes qui drainent à coup de publicité les dons privés fait la vie dure aux plus petites associations qui sont de plus en plus tributaires de subventions et perdent ainsi leur indépendance. L’action humanitaire doit elle se limiter à quelques coups médiatiques ?A la place des centres médicaux de pointe qui servent de vitrine à l’argent dilapidé, n’est-il pas plus urgent de faire des actions de base plus réalistes et plus honnêtes que ces paris dont les chiffres sont gonflés par les énormes charges d’une administration d’entreprise ?

Dans l’avion du retour, on fait le bilan de la mission et l’on mesure toute l’humilité de l’action humanitaire.Mais à peine arrivé, les questions du public montrent qu’il s’intéresse plus au dossard qu’à l’action menée, comme s’il cherchait à restituer les trois sens manquant à la tartine d’horreur quotidienne qu’il absorbe pour se créer un bien-être relatif. Après l’expérience des tentatives de récupération sur le terrain par les responsables locaux, l’emphase politique sur l’humanitaire donne à ses militants l’impression d’être la goutte d’huile qui contribue à faire marcher le mécanisme de l’injustice et de l’inégalité.

Et devant le sentiment d’impuissance à faire changer cette situation, on se dit qu’on devrait les laisser se démerder entre eux et ne plus servir d’alibi à l’impérialisme des sociétés occidentales.

Pourtant une telle attitude ramène celui qui l’adopte à la passivité consentante d’une population soumise à ses intérêts égoïstes défendus par ses dirigeants à coups d’injustice politique.Alors, quelles solutions proposer pour améliorer l’efficacité des actions humanitaires ?

L’explosion de l’humanitaire et les risques de récupération politique rendent indispensable la création d’une structure associative formée de représentants des diverses organisations afin de contrôler la bonne utilisation des dons du public. Elle pourrait labéliser les associations humanitaires et collecter les dons privés de ceux qui donnent sans chercher à connaître l’envers du décor. Ils seraient ainsi assurés que leur argent parvient à ceux qu’ils désirent aider. Un service de gestion des offres et demandes relayé par la télématique améliorerait l’efficacité du bénévolat en facilitant les contacts entre bénévoles potentiels et associations.

La reconnaissance des missions humanitaires comme Travaux d’Utilité Collective mettrait les bénévoles ainsi que associations humanitaires sur un pied d’égalité. Cette mesure ne serait pas plus coûteuse puisque l’argent donné sous cette forme remplacerait certaines subventions qui remettent en cause l’indépendance des organismes humanitaires. Ainsi, chacun pourrait aider les autres en percevant une indemnité pour faire face aux frais permanents qui empêchent les personnes sans ressources annexes de partir. Le public de toute origine pourrait ainsi faire une année humanitaire, qu’il soit de profession médicale ou autre, et les chômeurs trouveraient une activité enrichissante par les voyages et le contact avec d’autre populations au lieu de s’enfermer dans le corridor oisif de la délinquance. Ce serait peut-être la fin de l’aide humanitaire bourgeoise...

L’édition d’ouvrages adaptés à l’enseignement dans le tiers monde, traduits dans les principales langues et en Espéranto, aiderait considérablement les professeurs improvisés qui rencontrent souvent de graves difficultés à réaliser leur tâche. Cette diffusion de la connaissance par l’écrit et les images des futures télévisions par satellite permettrait d’améliorer la condition des exclus.

La solidarité internationale qui paraît si évidente à l’intérieur des blocs politiques, est le seul espoir d’un futur pacifique. Elle doit mettre en oeuvre des possibilités d’acheminement, de stockage et de distribution adaptés aux régions de la planète. La répartition équilibrée des richesses est la seule garantie pour tous.

Car combien de catastrophes nucléaires, chimiques ou climatiques suffiraient pour anéantir un continent ? Qui peut être sûr que les riches d’aujourd’hui ne seront pas les pauvres de demain ?

La meilleure solution au problème de l’aide à l’Humanité est certainement la prise de conscience par les individus et leur engagement personnel dans la voie qui mène aux autres.Mais comment éviter le découragement pour le missionnaire qui quelques mois après être rentré dans le rang se retrouve bouffé par le quotidien et influencé par une information subjective ?Peut-être en se disant que le filet de la solidarité collective est porté par la somme des efforts individuels et ponctuels d’une population. Mais que la charge est lourde sur les épaules des quelques privilégiés réussissant à sortir un moment du système économique de l’égoïsme !

L’efficacité sera peut-être atteinte lorsque altruisme ne rimera plus avec héroïsme.La voie est collective par les moyens existant de faire quelque chose de concret pour les autres, et individuelle par chaque motivation de trouver des solutions et de participer.

Et le bilan d’une mission humanitaire, outre la riche expérience du travail dans un groupe uni par le même idéal de solidarité, c’est pour le kinésithérapeute qui n’imaginait que pouvoir faire le massage libérateur d’un torticolis à un soldat sur un champ de bataille, après la découverte de l’immensité des besoins de tous ordres dans certaines régions du monde, la maigre satisfaction d’avoir apporté son grain de sable à une pierre de l’édifice ambitieux de l’Aide Médicale Internationale.

Damgan Août 1989 Bernard COUAPEL.

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